Pratique
Par des formules performatives pour la plupart intimes (one-to-one performances), la pratique artistique de Sylvie Cotton explore la présence et le corps comme matériaux ainsi que leurs qualités potentielles de rencontre, d’échange et de métissage. Sa recherche en performance se fonde sur des notions liées à l’abandon et au dévoilement et demande d’investiguer la confiance mutuelle, ce que la pratique concrète des situations proposées laisse apparaître, ou au contraire, rend difficile. Dans les deux cas, l’expérience fait œuvre et son résultat n’est autre que le processus intérieur et extérieur qu’elle aura engendré dans le présent.
Le dessin, l’écriture, le cahier et l’installation portent ensuite une autre génération d’œuvres qui découlent des projets d’art action. Le livre d’artiste est aussi un format grâce auquel elle traduit et transmet le fruit des projets d’art action qu’elle mène chaque année avec de nombreuses personnes et sans qui son travail n’aurait aucun sens.
Sylvie Cotton vit et travaille dans son atelier de Montréal mais aussi dans tous les endroits où elle est amenée à présenter ses projets. L’atelier est principalement intérieur. Les moyens, les disciplines ou les techniques sont accessoires par rapport au choix des contenus. C’est pourquoi, bien que certains véhicules soient privilégiés ou naturellement élus dans le travail (conversation, cahier, écriture, dessin), les formes finales sont multiples (installation, livre, performance, chanson).
Son travail s’élabore principalement par projet et chaque fois selon deux grands axes: soit en élaborant une situation autoréférentielle faite devant ou pour l’autre (performance, dessin, photo, installation), soit en instaurant une interaction avec l’autre (création de situations et projets d’art action). Depuis 2003, les deux tendent à se confondre et à fusionner ce qui a pour effet de créer une nouvelle posture par laquelle, symboliquement, elle se mélange à l’autre, incorpore l’autre, certaines de ses histoires, de ses marques, de son identité ou de ses désirs. Par exemple, en reproduisant sur sa peau, grâce au dessin, ses tatouages ou ses grains de beauté. Ou encore, en ingurgitant l’eau de lavage des mains de tous les spectateurs d’un festival, ou en cherchant au téléphone d’autres femmes portant le même prénom afin de converser. Enfin, à organiser des promenades d’une durée variant entre quelques heures et quelques jours avec des inconnus et selon certaines conditions: les yeux bandés, la main dans la main ou en silence. Ces situations lui permettent de pratiquer tout ce qu’elle aime : une rencontre, une conversation, un dessin, une trace.
Quant à la photographie, au dessin et à l’écriture, ces médiums servent à reformuler des expériences solitaires d’observation des phénomènes dans la nature par exemple ou celles partagées avec les gens dans des modes de travail participatif. Mais les œuvres qui en résultent sont autonomes et se présentent sous la forme d’œuvres sur papier, d’assemblages ou de cahiers. Leur contenu est conceptuel et se forge par mémoire, association ou métonymie.
La pratique de Sylvie Cotton implique souvent une dimension insondable liée au temps ou à l’expérience. Par exemple, exposer tous ses liens et relations (Suppléance, La Centrale, 2002), faire l’inventaire de tous les objets de sa maison (Le Consoloir, 1995), dessiner toutes les parties de son corps (Un Espace à neuf, Joyce Yahouda, 2003), dresser la liste de toutes les personnes rencontrées dans sa vie, (Être est dans l’autre, TRAFIC, 2005), faire la liste de toutes les personnes l’ayant influencées (On est tous des autres, 2006), faire le compte de tous les grains de beauté d’une personne (Ton corps mon atelier, 2004).
Ainsi, toute situation devient potentiellement transformable en acte de création et conséquemment, tout acte de création est profondément transformateur. La pratique de l’existence comme pratique de création, voilà ce que propose le travail et la recherche de Sylvie Cotton. Une forme d’art dont le matériau premier est la présence et l’accueil de cette présence quelle qu’elle soit, telle qu’elle est. C’est pourquoi, pour y arriver, l’artiste s’en remet aux idées avant de s’en remettre aux formes et estime que cette voie doit être accueillie comme une qualité et une richesse, autrement que comme un défaut ou un manque. Toute pratique possède une cohérence interne, son écologie interne.